Retour

de : ventre de la terre
à : à mes parents retraités
type : lettre

Le 6 juin 2024

Voilà quelques jours que j’ai écrit ce texte, que je le modifie et que j’hésite à vous l’envoyer, parce que c’est sans doute un excès de colère en découvrant cette date de 1992 (vous comprendrez de quoi il s’agit plus loin) qui me l’a dicté. Je pense que ce texte peut être violent à recevoir.

Cependant je le crois légitime. J’ai eu une enfance heureuse grâce et avec vous. Vous avez été et vous êtes de bons parents. Vous avez sans doute fait des sacrifices à votre échelle et à votre mesure pour nous élever et nous faire devenir ce que nous sommes aujourd’hui ma sœur et moi. Gardez bien cela en tête en lisant ce qui suit. Je ne remets en aucun cas en cause votre éducation juste, aimante et bienveillante.

Chers parents, et surtout, chère génération qui est la vôtre ainsi que tous vos descendants qui suivent sagement ce modèle. Comme à chaque approche des élections, mon angoisse monte quand je vois quelles sont les préoccupations sordides de mes congénères. Je ne me reconnais plus dans mes semblables… Quelle ignorance, quelle crédulité. Mon espèce me fait honte.

Aujourd’hui, je me permets de vous écrire pour vous faire part de mes émotions et aller jusqu’au bout de ma pensée. Je tiens à ce que vous sachiez le brouhaha dans ma tête. Que vous entendiez ma colère et ma tristesse. Le fardeau est devenu trop lourd à porter, il devient nécessaire et juste de le partager avec tout le monde. Vous avez sans doute déjà entendu parlé de l’éco-anxiété dans les médias. Vous vous en doutiez peut être, mais sachez que je fais parti des personnes touchées par ce syndrôme. Je peux vous dire que ce n’est pas agréable et que notre impuissance face à nos questionnements n’aide pas à aller mieux. Et encore moins les résultats des sondages avant des élections…

Je crois, je sens, que cette éco-anxiété se transforme petit à petit en dépression, à force d’impuissance et de constats, au fur et à mesure que s’affirme la trajectoire de l’humanité et avec elle, l’impossibilité d’un jour fonder une famille. Je traverse le deuil d’un enfant qui ne naîtra jamais. Ce n’est ni le manque d’envie, ni une infertilité qui empêche cette idée. Mais le manque d’espoir. Et factuellement, aucune perspective saine. Voilà quelques années maintenant que cette question me hante. Et encore plus aujourd’hui, car, avec celui qui partage ma vie nous formerions une superbe équipe, et j’ai une totale confiance en cet homme comme potentiel père. Je suis bousculée entre les faits avérés et les arrangements que je construis dans ma tête pour trouver un quelconque espoir qui m’autoriserai moralement à faire naître un enfant dans ce monde tel que je le connais et tel qu’il nous est annoncé.

En ce sens, vous pouvez dire, que vous êtes directement touchés par le dérèglement climatique: vous ne serez pas une nouvelle fois grands-parents pour cette raison. Vous qui avez connus cette envie de devenir parents il y a 36 et 34 ans, vous savez à quel point cette question peut être obsédante et forte en émotions.

Imaginez ma frustration. Imaginez ma colère.

Je considère qu’on m’a retiré ce droit. Ce choix. Comprenez pourquoi il y a certaines choses que je ne peux plus entendre, certaines choses que je ne peux plus voir. Je ne peux plus, j’en suis fatiguée. Comprenez que ma tolérance est épuisée.

Parce que tous les spécialistes le crient, alertent depuis des décennies et que la majorité des peuples et leurs gouvernements restent insouciants. Les oeillères sont si confortables.

Moi, je n’ai jamais eu la chance de vivre cette insouciance. Dès le collège, des exposés à ce sujet m’ont frappés pour toujours. Je vis et j’ai grandis en sachant ce qui nous pend au nez. En même temps que je grandissais, les chances pour des tas d’espèces de s’en sortir, elles, s’amenuisaient. Cela fait donc depuis le collège que je suis profondément écologiste, pour sauver notre peau. (Parce qu’en réalité, la planète se débrouillera bien mieux sans nous. Notre disparition est d’ailleurs le meilleur à lui souhaiter.)

Je suis donc une écologiste forcée, et je fais du mieux que je peux depuis toujours. Personne n’est parfait et fait avec le temps et l’énergie qui lui reste, j’en ai bien conscience.

J’ai lu des livres qui, pour l’un d’eux dès 1956, alarmaient déjà de tout cela. Votre génération était née. Certains d’entre vous, attentifs, essayaient en vain d’éveiller vos conscience. En 1992, le premier sommet de la Terre à Rio a été médiatisé dans vos JT. Une enfant de 11 ans avait fait un discours dans lequel elle criait sa peur de l’avenir aux dirigeants du monde entier. Vous étiez déjà parents pour la plupart. J’aimerai savoir si vous l’aviez entendu à l’époque, cette information. Si vous avez entendu cette gosse. Vous qui veniez d’avoir, un, deux, trois enfants.

Pour certains d’entre vous ce fût le cas, mais ceux-là passaient déjà pour des uluberlus.

Nous, votre progéniture, sommes donc venus au monde en même temps que le premier sommet de la Terre à Rio et avons grandis avec les angoisses du dérèglement climatique. Aujourd’hui, nous avons 30, 40 ans. Cela fait donc 30, 40 ans que vous avez toutes les informations de l’urgence des problèmes climatiques, et vous avez pourtant continué à vivre dans l’insouciance pendant 30, 40 ans, sans avoir pris la mesure du problème. Alors que celui-là même allait toucher directement vos enfants. La chair de vos chairs.

Je n’arrive pas à comprendre comment cela est possible.

Je suis en colère aujourd’hui en prenant conscience de toutes vos années de passivité ou d’indifférence (appelez ça comme vous voulez). Je ne suis en colère pas spécifiquement contre vous mes parents, mais contre votre génération qui aurait pû. Qui aurait dû écouter, s’intéresser, agir, se faire entendre et protéger ses enfants. Personne n’a écouté les uluberlus, personne ne s’est jamais indigné contre la folie consommatrice de cette génération, contre l’absence de politiques menées en faveur de l’environnement, contre le trop de déchets, contre ce système qui exploite la nature et les humains les plus faibles.

Jusqu’ici je croyais aux discours disant qu’à l’époque c’était comme ça, “nous ne savions pas”.

Alors,

Chers parents, chère génération qui est la vôtre ainsi que, malheureusement, toutes celles et ceux qui suivent mécaniquement ce même chemin,

Je vous vois, aujourd’hui jeune retraité.e.s, zieuter les voyages en croisière ou les weekends de l’autre côté de l’Europe ou plus loin encore parce que les billets d’avion sont à votre portée. Je vous vois, acheter des voitures de plus en plus “confortables” avec des moteurs et des pneus de plus en plus gros. Je vous vois continuer à aller en supermarché profiter des promotions sur des produits marketing franchement pas nécessaires, pas éthiques ni sains. Je vous vois commander sur Amazon sans vous soucier des gens exploités et des kilomètres que feront toutes ces marchandises. Je vous vois acheter encore un électroménager gadget. Je vous vois acheter de l’eau en bouteille. Je vous vois acheter des lessives qui sentent très très bon mais qui polluent et qui font des déchets. Je vous vois continuer à manger des tomates en hiver et de la viande à tous les repas ou presque. Je vous vois avec vos assiettes jetables. Je vous vois adopter leur terme “éco-terroriste” sans le questionner. Je vous entends dire que les “écolos font chier”, que ce ne sont que des Bisounours. Mais je vous en prie, venez enfiler l’angoisse d’un de ces Bisounours si ça vous paraît si rigolo. Je vous vois vous préoccuper des migrants plutôt que du climat.* De votre sécurité plutôt que la gestion de l’eau.* Je vous vois voter pour des idées qui n’assureront en rien la pérénité ni de la paix, ni de la nourriture de vos petits enfants quand vous ne serez plus là. Je vous vois vous contenter de leur green-washing sans sourciller. Je vous vois croire, sans réfléchir, à la fausse bonne idée de la fée électricité qui va nous sauver. Je vous vois faire tout cela, et je vous entends dire que vous avez assez trimé et que vous aimeriez maintenant pouvoir profiter librement de vos dernières décennies sans que les écolos ou autres rabats-joie viennent vous “faire chier”.

Sachez, chers parents, que les comportements de votre génération, sont immoraux et impardonnables. Et que les générations suivantes continuent dans cette voix par bêtise mais aussi parce que le modèle n’a jamais été remis en cause. Le travail n’a pas été fait quand il était encore temps.

Aujourd’hui, mon trop plein de colère me donne le courage de vous dire que non, vous ne profiterez pas tranquillement de vos dernières décennies sur cette planète sans faire d’effort. Parce que, factuellement, vous en avez déjà bien assez profité de cette insouciance que nous, moi, nous n’avons pas eu le bonheur de connaître aussi bien que vous. Bisounours que nous sommes…

Je n’attends pas de réponses, et encore moins vos justifications ou votre défense qui seraient mal-venues. Je n’ai pas besoin de grandes leçons. J’ai besoin de savoir que j’ai été entendue.

J’attends de vous et de votre génération que vous deveniez enfin responsables.

Le but n’est pas de vous blesser, mais de partager mes blessures.

Pensez-y désormais, dans vos interactions sociales, dans vos actions et dans vos votes. J’espère que cet appel du cœur et des tripes ne vous laissera plus indifférents. Que vous non plus vous ne tolèrerez plus certaines paroles ou certains actes. À votre tour d’assumer la défense de l’environnement. Moi pour l’instant, je suis fatiguée.

Et qui c’est, c’est peut être au tour des enfants de faire grandir leurs parents?

Des problématiques qui, de fait, se rejoindront si nous continuons ainsi à ne pas prendre soin de notre environnement.

Le 7 juin 2024

Épilogue:

Parce que vous vous inquiétez pour moi après la lecture de ce texte, j’aimerai ajouter ceci: Oui je ne suis pas au meilleur de ma forme ces temps-ci, comme à chaque période électorale où l’angoisse se fait plus grande, mais sachez bien que c’est ce monde tel qu’il est qui me rend triste, et pas ma tristesse qui me fait voir le monde ainsi. Ne soyez pas étonnés de mon mal-être, mais étonnez-vous de cette société malade qui en est le reflet. Ce n’est pas bizarre ou anormal d’aller mal, ce serait même plutôt l’inverse. Comment peut-on aller bien au milieu de tout cela? C’est plutôt ça qui me questionnerait.

Je ne suis pas malade. Accepter la médiocrité de l’Homme, ne pas s’indigner, c’est là être malade à mes yeux. C’est nier notre part d’humanité. Et qu’est ce qu’être “humain” s’il n’y a plus d’humanité? Les humains ont-ils perdus toute empathie, toute sensibilité, toute capacité de raisonnement? Ont-ils oublié l’Histoire?

Ne vous inquiétez pas pour moi. Inquiétez vous plutôt de ce que nous laisserons à vos petits enfants à force de nous contenter de ne rien faire.

En tant que citoyen.ne.s, nous devons nous intéresser à la démocratie, à la politique et à celles et ceux pour qui nous votons. Remettre leur s paroles en doute. Leur demander des comptes pour qu’iIs et elles fassent ce pourquoi ils et elles sont payé.e.s: protéger les droits des citoyen.ne.s. Vivre dans un monde respirable est un droit fondamental non?

“Si tu ne t’occupe pas de la politique, elle s’occupera de toi”

Et tout est politique, de fait. Jusqu’à la marque de yaourt que l’on achète. Que je le veuille ou non, c’est cette réalité dans laquelle je vis. Je ne la choisis pas selon l’état de mon moral. À part à devenir aveugle et sourde ou hermite, je ne peux pas ignorer ce qu’il se passe.

Dans une société où l’argent règne, même le plus petit porte monnaie peut avoir un impact concret. Si on veut profondément changer les choses, si l’on s’indigne de la marche du monde, réfléchissons un peu à ce que l’on peut faire de mieux à notre échelle. Ne restons pas spectateurs impuissants.

Dans une démocratie, le vote de chaque citoyen.ne compte.

Arrêtez d’acheter de la merde, ils arrêteront d’en vendre. Arrêtez d’écouter leurs conneries, ils arrêteront d’en dire.

La loi du marché.

C’est ici comme ma dernière chance d’essayer de faire bouger les lignes. Prenez enfin la défense des uluberlus. Considérez leur parole. Relayez la.

Et intéressez-vous vraiment !

Modifier